vendredi 9 mars 2012

50. Samuel


Sara se souvient que les rues du village de son enfance étaient tracées au cordeau, elles se croisaient à angle droit, au centre une église.

Sara dit que Samuel, son père, avait fait bâtir la synagogue à laquelle on accédait par la cour en arrière de leur maison.

Je me souviens de la bénédiction du Quippour, c'était comme si Samuel prenait tous les enfants sous de grandes ailes blanches.

Je me souviens que Samuel portait un burnouss blanc et doux en laine ou beige et rêche en poil de chameau.

Samuel prenait ses couffins et allait faire les courses au marché.

(à suivre...)
LB



49. Camus


Quand Camus a écrit, "le jour commençait à baisser, puis c'était le rapide crépuscule africain", c'est à coup sûr après l'exil.

(à suivre...)

LB 

48. Lumières


Je me souviens de la lampe à pétrole et de sa flamme triangulaire dont il fallait régler la hauteur en faisant monter ou descendre la mêche.
Je me souviens de la molette de cuivre qu'il fallait tourner, et que Sara inclinait la tête pour que ses yeux soient à bonne hauteur.

Je me souviens des veilleuses que Sara allumaient chaque vendredi soir ou quand la petite flamme devait protéger une vie.
Il fallait un verre de bonne épaisseur, y mettre de l'eau jusqu'à un peu plus de la moitié et compléter avec de l'huile.
Je me souviens du jaune doré de l'huile d'arachide.
Ensuite Sara ouvrait la boite en carton où se tenaient flotteur et bobèches.
Elle prenait le flotteur de liège couvert du métal argenté et dressait le fil de fer fin et torsadé qui se terminait par un commode arrondi.
En son cœur évidé, elle enfonçait la bobéche de cire grise centrée par le filin blanc de la mèche.
Elle prenait entre son pouce et son index l'arrondi du fil de fer dressé et posait le petit appareil sur la surface de l'huile.
Elle rajoutait parfois de l'huile en un petit filet, s'avisant soudain que la flamme devrait durer un peu plus.
Elle craquait ensuite l'allumette et la posait tout contre la mèche qui s'allumait quand elle s'était assez imprégnée de l'huile.

Je me souviens des bougies d'anniversaire et de leur support de plastique rose.
Je me souviens des bougies d'anniversaire et de leur support de plastique rose en forme de fleurs en corolle. 

(à suivre...)
LB

47. Les murmures de la Guerre

Dans le Village des Asphodèles, quand les élèves partaient, la cour d'école devenait notre immense terrain de jeu.
Entre Sara et le Père, il y avait les cris et puis, il y avait les murmures.
Il y avait cette tonalité si particulière de la voix qui enjoignait aux enfants de ne pas entendre.

Jeanne se souvient qu'à ce signal, elle écoutait de toutes ses forces.
Le plus souvent, il s'agissait d'affaires de famille. Mais, parfois, c'était les murmures de la Guerre.

Dans le Village des Asphodèles, le premier drame fut le départ du frère de Sara, avec femme et enfants pour la France.

(à suivre...)

LB 

46. Le SNI et Freinet


Je me souviens que le Père disait le SNI et qu'il s'agissait du syndicat national des instituteurs.
Je me souviens qu'il inventait et créait des objets que je sais, aujourd'hui être du matériel pédagogique.
Je me souviens des récipients d'étain pour apprendre les litres, les décilitres et les centilitres.
Je me souviens des bûchettes et que dix petites bûchettes jaunes pouvaient être remplacées par une grosse bûchette rouge.
Je me souviens de la cérémonie du remplissage des encriers de porcelaine blanche avec de l'encre violette.
Je me souviens de la préparation de l'encre violette à partir d'une quantité de poudre qu'il fallait mélanger à un litre d'eau.
Je me souviens que le Père agitait longuement la bouteille pleine pour éviter que de la poudre ne s'amalgame et fasse ensuite des pâtés.

Je me souviens que le Père ne jurait que par la méthode Freinet et qu'il en était fier.

Je me souviens avoir un jour soufflé dans un encrier, alors que je portais une bien jolie petite robe blanche, décorée de broderie anglaise.

Je me souviens que parfois, lorsqu'il allait aux réunions du SNI, Sara n'était pas contente. Pendant un temps, elle était jalouse.

Je me souviens que lorsque Sara a commencé à avoir peur, elle s'est mise à allumer une veilleuse avant que le Père ne parte. 

Mais là, ils habitaient déjà dans la Grande Ville et la Cité était loin de l'école du Père. Finis les appartements de fonction.

Dans le Village des Asphodèles, le Père ne faisait qu'enseigner et animer le Foyer Rural. 

On entendait les premiers murmures de la Guerre.

(à suivre...)

LB