mardi 31 janvier 2012

16. L'école.


Ca ne vous rappelle rien ? Aujourd'hui, Paris durcit les conditions d'obtention de la nationalité française.

Ils nous lancent des mots dans l'espoir que nous nous battrons comme font les chiens pour un os à ronger. C'est déjà ainsi qu'ils faisaient.

Je me souviens qu'on apprenait toute l'histoire de France depuis la Gaule romaine. À la fin, il restait trois pages pour l'émir Abdelkader.

L'image de l'Emir Abdelkader était un dessin, l'Emir semblait fier sur un cheval qui se cabrait. L'image occupait la moitié de la page.

Sur la page suivante, une carte de l'Algérie. La première que je voyais dans un livre de classe.

Sara se souvient des jours d'école où elle devait chanter "Maréchal, nous voilà."

Pour chacun, l'Etat colonial balise un parcours de vie, fait des labyrinthes, des impasses, des ruelles, crée l'illusion d'une voie royale.

L'armée et l'enseignement étaient ces illusions. L'une, bien sûr était pire que l'autre.

(à suivre...)

LB

15. Enfants dans la Guerre (2)


Dans les guerres, on ne dit pas directement aux enfants toutes les atrocités, les morts par exemple, les tueries, les tombeaux, le sang.

Ils voient et puis entendent.

Les enfants dans les guerres recueillent des mots qui volent au dessus de leurs têtes, des mots qui font images et des images sans mots.

Longtemps après, il faut encore raccorder images et mots, on n'en finit plus de recoudre cette fracture.

Il en est ainsi des noms.

Te souviens-tu d'Abderrahmane Farès ?

Les noms restent, là, prisonniers de la voix du Père. Messagers.

Te souviens-tu de Kateb Yacine ?

Les mots ont une mémoire seconde qui se prolonge mystérieusement au milieu des significations nouvelles.

Finalement, dit Sara, le souvenir ravive le souvenir. Nos paroles sortent comme d'un puits où depuis longtemps n'était pas descendu de seau.

Elles se dégagent de la gangue, vase des douleurs, qu'il avait fallu bannir pour continuer à aller vers notre avenir.
Les enfants dans la guerre font ainsi, car la vie, pour eux, est la plus forte.
Ils veulent remettre les deuils à plus tard, alors ils enferment tout et même les bonheurs dans la cassette des pierreries. Tout reste là.

Tout reste figé dans leur regard d'enfant.

Ils attendent, sans savoir qu'ils veulent atteindre ce moment où ils pourront nommer les sentiments, les sensations, les images immobiles.
Ils voient alors, comment tout cela a guidé leur vie, plus qu'ils n'auraient cru, plus qu'ils n'auraient voulu, plus qu'ils n'ont su.
Ils savent pourquoi, certaines choses ne les faisaient jamais rire.
Ils savent pourquoi ils prenaient à coeur des causes qui semblaient les concerner à peine. La guerre est là au fond de leur coeur.

La guerre est là, tapie, silencieuse, et derrière tout un vacarme de mots qu'ils n'ont jamais pu dire.
"Tout homme a un secret en lui, beaucoup meurent sans l'avoir trouvé". La guerre a pris la place de leur secret.


(à suivre...)

LB