Je me souviens d'avoir entendu parler des
morts mais d'en avoir peu vus.
Cela aussi devait être inégal.
Outre les récits de mort que faisait
quotidiennement la Radio, il y avait les morts qu'on connaissait ou
que quelqu'un qu'on connaissait, connaissait.
Il y avait les morts dont quelqu'un qu'on connaissait
avait entendu parler.
Il y avait les morts que quelqu'un qu'on connaissait avait vu.
Le Père et Sara évitaient de faire ces
récits devant les enfants.
Mais comment se surveiller tout le temps ?
Comment surveiller chacune de ses paroles ?
Il y a eu l'homme abattu derrière l'immeuble de la Cité près de la station service.
Il y avait Ali chez qui Sara allait, de préférence, acheter ses légumes qui un jour n'était plus à son étal.
Il y a eu un cousin lointain enlevé parce
qu'il avait traversé la Casbah.
Il y a eu un homme dont le corps avait été
pendu à un filin posé en travers d'une rue de Bab el Oued.
La mort, d'abord, avait semblé rester à distance grâce aux déplacements vers la ville ou un peu à cause de l'inégalité ou un peu par chance.
Car il y avait aussi les attentats auxquels
on avait échappé.
On aurait pu être là comme ceux qui étaient
morts mais on n'y était pas.
A la fin, la mort a tenté de s'approcher inexorablement.
C'est en parlant avec Bachir que j'ai compris que lui avait vu les morts que mes yeux n'ont pas vus.
(à suivre...)
LB
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